Inédits de Céline : la fin d'un mystère littéraire de 75 ans

17 juin 1944. Le docteur Destouches, plus connu sous son nom de plume Louis-Ferdinand Céline, sa femme Lucette et leur chat Bébert arrivent en gare de Baden-Baden avec l’espoir de rejoindre le Danemark. Dans cette ville épargnée par les bombardements, à seulement quelques kilomètres de la frontière française, la guerre qui fait rage en Normandie semble presque lointaine. Un moment de répit pour le couple qui fuit Paris par crainte des représailles de la Résistance.

Or, derrière lui, l’écrivain collaborationniste laisse un certain nombre de manuscrits inachevés. Disparus dans l’appartement montmartrois du couple, ces textes composés de centaines de feuillets ne réapparaitront qu’au siècle suivant. Ces milliers de pages jaunies étaient en fait entre les mains depuis plusieurs dizaines d’années de Jean-Pierre Thibaudat, ancien critique de la rubrique Culture de Libération.

Mort en 1961, l’auteur de Voyage au bout de la nuit aura passé les années d’après-guerre à se plaindre du vol de ses manuscrits après leur abandon dans sa fuite vers l’Allemagne lors de la Libération. « Trésor, je l’affirme ! De ces romans, tonnerre de Dieu que la littérature française en est appauvrie pour toujours », déplorera-t-il ainsi avec sa verve naturelle dans son ouvrage posthume Maudits soupirs pour une autre fois. Pour les céliniens, qui ne pensaient jamais les voir réapparaître, se pose une question : comment Jean-Pierre Thibaudat, sans lien direct avec l’écrivain, s’est-il retrouvé détenteur de ce trésor littéraire ? Après des mois de silence, ce n’est qu’à l’été 2022 que le journaliste a enfin levé le voile sur son blog, hébergé par Mediapart, en révélant l’identité des mystérieux donateurs. Il s’agit des enfants d’Yvon Morandat, ancienne figure de la Résistance et ministre du général de Gaulle. Ce héros de guerre avait récupéré les manuscrits à la Libération en logeant dans l’appartement de l’écrivain, réquisitionné par les nouvelles...