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Holodomor ou du mauvais usage de l’histoire au Parlement

Jean-Yves le Naour

Le 28 mars 2023, par 168 voix contre 2, l’Assemblée nationale reconnaît officiellement « le caractère génocidaire de la famine forcée et planifiée par les autorités soviétiques à l’encontre de la population ukrainienne en 1932 et 1933 ». Cette décision, qui intervient dans le contexte du soutien occidental à l’Ukraine dans sa guerre de résistance à l’agression russe, est éminemment politique. Mais est-elle justifiée sur le plan historique ?

Statue de Staline à Volgograd
Statue de Staline à VolgogradDmitry Rogulin/TASS/Sipa USA/SIPA

Malgré le contexte actuel où l’émotion commande, l’historien se doit de poser scientifiquement la question, sans passion. Les élus eux-mêmes n’ont pas toujours été aussi déterminés dans leurs votes. Des propositions de loi visant à reconnaître la famine des années trente en Ukraine comme un génocide ont déjà été déposées à l’Assemblée nationale et au Sénat, la première en 2001 sauf erreur de notre part, et elles n’ont jamais été examinées ou bien n’ont recueilli qu’un nombre très restreint d’approbation. De même, le Parlement européen reconnaissait en 2008 des « crimes effroyables » mais repoussait le terme de génocide. En décembre 2022, la thèse de l’extermination génocidaire est validée par ce même Parlement. Que s’est-il donc passé entre ces deux dates ? Les travaux d’historiens auraient-ils brusquement fait pencher la balance ? En réalité, c’est la guerre déclenchée par Vladimir Poutine qui a conduit les nations occidentales comme l’Allemagne, la Belgique et la France, à parler désormais de génocide. Ainsi les circonstances commandent quand les députés écrivent l’histoire.

Tous les historiens sont d’accord pour considérer que la famine en URSS a été provoquée par la collectivisation forcée des terres qui vit s’écrouler la production. Tous sont d’accord pour considérer que cette famine n’a été ni voulue ni planifiée, Staline étant persuadé au contraire que la collectivisation et la rationalisation de l’agriculture, via la mécanisation, allait au contraire doper les rendements. Mais le consensus se brise à l’égard de l’Ukraine qui subit un terrible martyre. Avec la renaissance de la nation ukrainienne depuis 1991, la famine de 1932-1933 est devenue un élément important de la mémoire nationale que les nationalistes cherchent à définir comme un génocide. Le terme de famine, trop neutre, est éliminé au profit du néologisme Holodomor qui signifie « épuiser » ou « exterminer par la faim » et qui induit l’intentionnalité des dirigeants soviétiques. Staline...

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L'histoire au présent

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Historien du XXe siècle, scénariste et romancier.


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