Journal de bord d’une cancéreuse - V - La douleur

Myriam Meyer

Elle vibre, elle explose, elle se répand. Son torse vrille, étranglé dans un corset de pansements. Autour d’elle, des sonneries à intervalles réguliers, épuisants, et les allers et venues indifférentes des blouses. Elle a mal, à en hurler. Mal. La panique monte. On lui avait pourtant dit que le réveil après une mastectomie n’était pas trop douloureux.

Françoise Pétrovitch Garçon allongé (Nocturne), 2012 Huile sur toile Courtesy Semiose, Paris
Françoise Pétrovitch Garçon allongé (Nocturne), 2012 Huile sur toile Courtesy Semiose, Paris

Une voix s’adresse à elle, et un fracas de mots confus dont elle ne parvient pas à saisir grand-chose, si ce n’est que l’opération ne s’est pas passée comme d’habitude, une histoire de nerf lésé. Elle s’en fout. Tout ce qu’elle désire, tout ce vers quoi son corps tend, c’est le soulagement de cette souffrance intense qui la cloue et l’étouffe. De la morphine, vite, et plus, et encore. Les infirmières refusent, la dose maximale a déjà été délivrée. Il faut patienter, madame Meyer.


La nuit est blanche, ponctuée de prises de température et de tension. Et l’angoisse, lentement, s’impose à elle comme un sacrement indésirable. Pourquoi la douleur ne passe-t-elle pas ? Au petit matin, elle essaie de se lever. Les draps s’accrochent à elle, ses jambes tremblent, et alors qu’elle essaie de s’appuyer à la table de chevet, son bras gauche ne répond plus. C’est une chose étrange, pense-t-elle, que de commander à son corps et qu’il n’obéisse pas. Le changement de pansement la laisse froide, elle grimace simplement devant cette plaie, qui barre d’une diagonale boursouflée ce qui était autrefois un sein. Elle s’y était trop préparée pour que cela l’écrase. Mais ce bras qui se refuse à ses ordres, pourquoi ? L’infirmière, interrogée, reste évasive : la chirurgienne passera.


Seule, adossée au matelas, elle plie et déplie sans difficulté ses doigts sur les draps. Son poignet bouge, lui aussi. Elle se concentre. Elle va maintenant réessayer de lever le bras. De toutes ses forces. « Lève-toi ! » Mais rien, sinon le silence de ce membre qui ne répond plus.


La chirurgienne est entrée dans un mutisme gêné. Il s’est passé quelque chose, quelque chose qui n’arrive jamais, une lésion au cours de l’intervention, les mots sont flous, la mine embarrassée, il faut réopérer pour essayer de sauver le bras de cette...

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Journal de bord d’une cancéreuse

Myriam Meyer

Épouse, mère de famille recomposée, professeur de lettres classiques, cévenole et parisienne.


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