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Les quatre temps des émeutes urbaines – Deuxième partie

Thibault Tellier

En mettant en œuvre la loi sur les Habitations à bon marché (HBM), les réformateurs de la fin du XIXe siècle pensaient avoir contribué à la résolution de ce que l’on appelait la Question sociale. S’il s’agissait de proposer de meilleures conditions de vie aux catégories modestes, l’enjeu était aussi politique : éviter le développement du socialisme, qui profitait de la loi de 1884 (élection des Conseils municipaux au suffrage universel masculin) pour s’enraciner au plan local. En 1892, Jean-Baptiste Calvignac, mineur, socialiste, est élu maire de Carmaux. De même, Henri Carette, fils de tisserand et cabaretier de son état, est élu maire de Roubaix la même année. Tous deux figurent parmi les précurseurs de ce que l’on appellera bientôt le socialisme municipal, qui incarnera durant près d’un siècle une forme d’organisation politique capable de repousser les expressions violentes collectives en lisière des villes.

Bobigny dans l'entre-deux-guerres

Réforme urbaine contre messianisme révolutionnaire

Après le chaos de la Première Guerre mondiale, l’affirmation bolchevique née dans le sillage de la Révolution russe de 1917 inquiète les démocraties, en particulier en France. La volonté du nouveau parti communiste née de la scission de la Section française de l'Internationale ouvrière au congrès de Tours en 1920 est manifeste : il s’agit bien de conquérir le pouvoir dans une perspective révolutionnaire. Dans le journal détenu désormais par le Parti Communiste (PC), L’Humanité, Paul Vaillant-Couturier écrit, en 1925, qu’après les élections municipales qui viennent d’avoir lieu, « Paris [est] encerclé par le prolétariat révolutionnaire ». Le parti dirigé par Maurice Thorez vient en effet de conquérir plusieurs villes de la banlieue industrielle entourant la capitale. Les autorités prennent alors conscience de la nouvelle menace qui pèse sur l’ensemble des grandes villes. Le programme de réforme urbaine portée par le gouvernement Poincaré, en 1928, porte la marque du refus de la sédition urbaine. Le ministre centre-droit de la Prévoyance sociale, Louis Loucheur, annonce la mise en œuvre d’une loi-programme (une première du genre) : 200.000 logements à bon marché et 80.000 logements à loyer moyen, afin de favoriser l’accès à la propriété des catégories modestes et de les éloigner par la même occasion de la tentation révolutionnaire. De la même manière, la loi portée par le ministre de l’Intérieur Albert Sarraut met un terme au scandale des « mal-lotis », en proposant l’éradication des lotissements non-viabilisés, grâce à l’intervention publique. On peut, d’ailleurs, y voir l’origine lointaine de la politique de la ville.

Mais la mise à l’écart des émeutes urbaines durant l’entre-deux-guerres tient aussi à l’attitude du PC. Les municipalités communistes (mais aussi socialistes) vont, en effet, mettre en œuvre de véritables micro-sociétés urbaines avec leurs propres règles. Si les avantages sociaux sont nombreux (dispensaires, colonies de...

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La ville, toute une Histoire

Cité française

Thibault Tellier, Professeur d'histoire contemporaine à Sciences Po Rennes, spécialiste d'histoire urbaine.


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