Journal de bord d’une cancéreuse - II - La mort

Est-ce que je vais mourir ?

Admettons-le, c’est une question qui mérite d’être posée dans de telles circonstances.

Bien sûr, je vais mourir. Mais quand ? Et à quel point ce cancer va-t-il accélérer le processus ?

Je mène de savants calculs : mon type de cancer, multiplié par mon stade de cancer, multiplié par l’âge auquel j’ai ce cancer, divisé par mon niveau de chance = ça ne sent pas bon.

Ça ne sent pas bon du tout. Veinarde comme je le suis, je vais avoir des métastases un mois après la fin des traitements, tout cela va se finir de façon sale et édifiante. J’imagine ma messe d’enterrement, ma famille, mes amis et mes anciens élèves en larmes,  et je réalise qu’en rangeant mes affaires, on tombera  certainement sur des paquets de copies en souffrance.

Dans la semaine, je mets, comme on dit, les choses en ordre.  Ma chimio n’a même pas commencé que mon notaire est prévenu, et que je me suis assuré d’avoir une assurance-décès. Comme à la veille d’une naissance, j’ai besoin de faire mon nid, et ce dernier ressemble à un linceul.

L’hôpital est à une station du Père-Lachaise, ce qui, on en conviendra, n’augure rien de rassurant.

Je lis, en riant jaune, la liste des effets secondaires  des chimio qui vont m’être prescrites : il y a fort à parier que dans moins d'un mois, je me transformerai. Créature adipeuse - ou efflanquée, vomissant tripes et boyaux, sans cheveux, ni sourcils, ni cils, ni poils, sans ongles non plus, faible, blafarde,  avec des migraines, des bouffées de chaleur, des mucites, de la diarrhée - ou de la constipation, des insomnies, des douleurs articulaires et des neuropathies. Un zombie.

J’en profite pour me renseigner davantage : passent alors sous mes yeux des témoignages extraordinaires de guérison, et des récits terrifiants...